Le développement complexe d’une identité sexuée aux premiers âges de l’existence
Alors que depuis la plus tendre enfance et grâce à l’aide de mes parents qui m’a permis de grandir en milieu de vie ordinaire, hors institution, j’ai réussi dans de nombreux domaines, école, études supérieures, travail, et ce en ayant une paralysie progressive et aujourd’hui quasi intégrale de mon corps, j’ai su très vite que j’aurais de grandes difficultés à parvenir à connaître une vie affective et sexuelle.
J’ai vu mes camarades connaître leurs premiers émois et je me sentais toujours à l’écart, souvent rejetée même dans les discussions. J’ai eu fièrement mon Bac Littéraire avec mention, j’ai toujours été très bonne élève. Était-ce une manière de compenser les domaines où je me sentais moins forte ? Une façon de plaire, même si ce n’était pas amoureusement à mon grand désespoir. Je me suis plongée dans les études, j’ai connu des hommes qui n’avaient que cette phrase aussi affectueuse que détestable à la bouche : « Tu es tellement super, j’aimerais être ton ami pour longtemps… »
Je me suis également rendue compte de la peur de mes parents quant à toute éventuelle rencontre, comme une totale méfiance envers tout intérêt pour moi. Je sentais bien que, même inconsciemment, mes parents ne croyaient pas que je puisse un jour connaître une vie affective et sexuelle.
La formation et le militantisme comme besoin d’affirmation
J’avais toujours ce grand besoin de garder cette thématique dans mes actions. C’était ma manière de suivre cet aspect de l’existence sans connaître émotionnellement et physiquement ni l’amour ni la sexualité. J’ai assisté à de nombreuses conférences et j’ai suivi une formation courte auprès de Sheila Warembourg destinée à l’animation de groupes de parole autour de la vie affective et sexuelle des personnes en situation de handicap, dans le cadre d’une branche spécifique créée à l’époque par Handicap International.
J’étais surtout très attristée par le fait que je ne pouvais en parler à personne. Mes ami.e.s avaient un train d’avance ou en tout cas de décalage avec ma situation, je ne souhaitais pas parler véritablement de cela avec mes propres parents, ou très peu et très superficiellement, et aucun espace n’était à l’époque prévu et organisé pour que je puisse en discuter. L’ensemble des grandes associations de défenses des droits des personnes en situation de handicap cherchent davantage à rendre tous les lieux accessibles ou à demander des fonds pour la recherche contre les maladies, plutôt que de s’intéresser au sujet sensible de la vie affective et sexuelle.
Suite à une conférence de Marcel Nuss, j’ai découvert l’existence de la pratique de l’accompagnement sexuel. J’ai été membre fondatrice de l’Association pour la Promotion de l’Accompagnement Sexuel en 2014, première association française à former de futur.e.s accompagnant.e.s sexuel.le.s pour personnes en situation de handicap, qui met également accompagnant.e.s et accompagné.e.s en contact. J’ai, à cette époque, pris conscience de l’incroyable misère affective et sexuelle qui touche les personnes en situation de handicap, quel que soit ce dernier, et notamment dans le milieu institutionnel qui renie très fortement l’accès à la vie affective et sexuelle par des pratiques d’interdits, ou en tout cas de non encouragement et d’impossibilité donnée aux personnes de découvrir cette intimité et cette sexualité indispensables à la construction et à l’identité de l’être humain. Pour certaines personnes, l’accompagnement sexuel sera peut-être la seule solution pour qu’elles aient accès à leur corps.
J’ai moi-même bénéficié des services d’un accompagnant sexuel formé par cette association. J’ai mis très longtemps avant de me décider à sauter le pas car j’avais très peur de l’attachement, étant moi-même dans un manque qui grandissait à l’approche de mes 33 ans. Avec du recul, j’en analyse aujourd’hui les bénéfices et limites. Je comprends notamment un peu mieux l’opinion des personnes en situation de handicap qui se déclarent contre l’accompagnement sexuel, principalement par peur de stigmatisation pouvant être induite par ce type de prestation.
Ma seconde naissance
J’ai rencontré par la suite mon compagnon avec qui je vis depuis 2017. Ma vie sexuelle s’est principalement construite avec lui. J’ai découvert ce qu’était la vie de couple, ce à quoi j’aspirais depuis si longtemps. Je construis ma vie aux côtés de cet homme qui grandit avec moi avec les difficultés et les grands bonheurs de tout un chacun, accompagnée de ce handicap avec lequel il faut composer. Mon compagnon m’a incroyablement donné la preuve de tous les avantages que pouvait comporter le handicap dans une vie de couple. Il peut d’ailleurs comparer, contrairement à moi, puisqu’il a vécu auparavant plusieurs relations avec des compagnes qui n’étaient pas en situation de handicap.
Mon besoin d’assistance 24 heures sur 24 est probablement l’élément inconditionnel à une vie pérenne mais également très perturbateur au sein de l’intimité d’un couple. Qu’il s’agisse d’intervention d’auxiliaires de vie, de présence quasi permanente, ou du choix que mon compagnon s’occupe de moi pour préserver une certaine intimité, nombreuses sont les difficultés où aucune solution parfaite n’existe.
Voyant aussi autour de moi la solitude et le désespoir de nombre de mes pairs, j’ai envie de partager mon expérience et de prouver que la vie en couple même avec handicap considéré comme lourd dans la dépendance, est possible. J’ai envie d’exprimer et de faire comprendre que le handicap n’est qu’une particularité, auprès des personnes concernées, des parents et proches mais également des professionnel.le.s de la santé et de l’accompagnement.
La conscientisation d’un système d’oppression et la volonté de sensibilisation
Je découvre depuis peu de temps ce concept de validisme, qui nous vient des pays anglo-saxons, l’ayant étudié depuis les années 80 dans les Disability Studies. La discrimination liée à ce concept est tellement ancrée dans l’inconscient collectif des personnes dites valides comme des personnes handicapées, qu’elle passe presque inaperçue et reste majoritairement méconnue de la plupart. La personne en situation de handicap se sentant fragilisée accepte certaines réalités et comportements par peur de déranger et le validisme intériorisé ne fait qu’accroître la bulle validiste qui nous entoure quotidiennement.
Si l’on se base sur le modèle social du handicap, ce dernier ne devrait pas être déterminé par une situation, une déficience ou une maladie, qu’elle soit innée ou acquise, mais par un environnement inadapté.
Ce validisme est incroyablement présent dans le champ de la vie affective et sexuelle. Il diffuse l’idée que les personnes handicapées sont moins attirantes, moins désirables du fait de leur handicap. Selon les types de handicap, certain.e.s se verront ainsi exclu.e.s malgré eux/elles des champs de la sexualité et du romantisme ; d’autres seront à l’inverse fétichisé.e.s et sur-sexualisé.e.s. Il s’agit, dans tous les cas, d’une forme de déshumanisation.
L’ensemble de la société a beaucoup de mal à imaginer qu’une personne en situation de handicap puisse avoir une vie intime et connaître la sexualité. Beaucoup croient que les personnes en situation de handicap se mettent en couple uniquement entre elles. Peu de personnes peuvent imaginer avoir elles-mêmes des relations avec une femme handicapée, souvent considérée comme une enfant, à qui l’on attribue des caractéristiques angéliques ou monstrueuses.
Le fait que la plupart ne puissent pas se mettre à égalité consciente de la personne en situation de handicap, rend totalement complexe voire impossible la rencontre affective et/ou sexuelle. Mon compagnon, imprégné de ces schémas, ne m’aurait probablement jamais remarqué avant de baigner lui-même dans le milieu du handicap par son métier.
Le validisme expose par ailleurs les personnes en situation de handicap à davantage de risques de violences physiques et psychologiques de la part de leurs partenaires : il est indispensable d’interroger collectivement le validisme intériorisé dans nos attirances et nos interactions.
L’envie d’agir pour mes pairs et la recherche de professionnalisation
Je souhaite pouvoir faire émerger la parole, ce dont j’ai absolument manqué tout au long de ma vie. J’adopte aujourd’hui une posture professionnelle en me basant sur mon expérience, en gardant l’émotion qui m’anime pour être au plus près des ressentis des personnes que je souhaite accompagner.
Ma pratique de pair-aidante est évidemment conditionnée par l’ensemble de mon vécu. J’effectue un détachement de moi-même pour parvenir à être efficiente sans imposer de vision, sans juger, sans me faire de mal, en m’ouvrant suffisamment pour être dans l’empathie, en me protégeant assez pour rester au clair avec mes émotions et celles des autres.